Le domaine de Rambouillet, le pouvoir et le patrimoine
Il existe une vingtaine de domaines nationaux en France. Nombre d’entre eux sont des lieux liés à l’exercice et à la représentation du pouvoir, à l’image de celui de Rambouillet.
De sa création au XVIIIe siècle à nos jours, le domaine de Rambouillet détient une place majeure bien que méconnue dans l’histoire de France. Résidence et domaine de chasse des princes, des rois, des empereurs et des présidents, le site est également connu pour sa Bergerie nationale et son troupeau mérinos de Rambouillet, réputé dans le monde entier, sans oublier sa forêt de près de 15 000 hectares.
En mai 2024, les vestiges du domaine royal sont classés « domaine national » par décret en Conseil d’État, aux côtés de Versailles, Fontainebleau, Marly et Saint-Germain-en-Laye, rappelant la place de Rambouillet comme lieu de pouvoir au sein du plus large réseau des domaines royaux. Ce classement vient couronner un long processus de patrimonialisation, et scande l’ouverture d’un nouveau chapitre de l’histoire domaniale. Longtemps influencé par le statut de résidence d’été officielle des présidents de la République (1896-2009), puis du Premier ministre (2009-2018), le domaine de Rambouillet devient progressivement un site touristique et patrimonial d’importance à 50 kilomètres de Paris.
C’est l’alliance de cette histoire unique et inédite, associant pouvoir, patrimoine et environnement, qui constitue le cœur de ma thèse soutenue en mars 2024. Celle-ci a reposé sur une collaboration étroite avec les Archives nationales, les Archives départementales des Yvelines, les domaines nationaux de Chambord et de Rambouillet, le Centre des monuments nationaux qui gère le château, la ville, le Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse et une galaxie d’acteurs, élus et gestionnaires. Cet article présente les principaux résultats de ce travail doctoral en insistant sur les perspectives archivistiques et historiques ouvertes par l’étude des nombreux patrimoines du domaine national de Rambouillet.
Acheté en 1706 par le comte de Toulouse soutenu par son père le roi Louis XIV, le domaine évolue en relation avec celui de Versailles, passant de 500 à 15 000 hectares en cinq ans. En 1711, le marquisat devient duché. Le domaine accueille les chasses de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Rambouillet est, avec Saint-Germain, Compiègne et Fontainebleau, l’un des domaines favoris de Louis XV. Louis XVI y voit un tel potentiel cynégétique, sylvicole et agricole qu’il s’en porte acquéreur en décembre 1783. À partir de cette date, Rambouillet rejoint le giron des hauts lieux de pouvoir.
L’un des enjeux de ce projet était de retracer l’aménagement du domaine et de la forêt de Rambouillet. L’invention du domaine par les princes a remodelé l’organisation territoriale des provinces, des pays et des territoires à la lisière sud-ouest de l’Île-de-France. Le domaine passe à 24 000 ha en 1780, faisant de Rambouillet le plus grand domaine d’État après Compiègne, Fontainebleau et Orléans. En 1811, Napoléon Ier fait de Rambouillet la sous-préfecture de la Seine-et-Oise, marquant l’influence domaniale sur la construction du territoire de l’État au fil des siècles.
Ce travail examine les sources du pouvoir princier, qu’il soit royal, impérial ou présidentiel, et la part environnementale de ce pouvoir. Pour élaborer cette réflexion, j’ai choisi de comparer deux activités complémentaires qui ont fait la raison d’être du domaine : la chasse et l’élevage. Au lieu de les opposer dans un clivage théorique entre nature et culture, sauvage et domestique, j’ai étudié la fabrication de ces catégories et leur matérialisation sur le territoire. Les princes aménagent l’espace pour et par la chasse, en établissant des carrefours et des routes de chasse en forêt, en bâtissant des parcs destinés à l’élevage et au tir de gibier. Ce faisant, ils influencent l’histoire des milieux ainsi que les comportements et l’éthologie des animaux.

Rambouillet et ses deux parcs, plan, v. 1787-1791, Archives nationales, F/1A/2001/27/B.
Au fil de l’enquête, un espace – le Grand Parc – est apparu comme spécifique dans la gestion des relations environnementales. Louis XVI y fait établir la ferme d’État, future Bergerie nationale, ainsi que les tirés de chasse, un paysage aménagé spécialement pour la chasse à tir, composé d’un parcours de haies parallèles, de bois et de cultures à gibier. Ces deux entités, reliées à des services de l’État, deviennent le socle d’une politique et d’une diplomatie environnementale à l’échelle européenne puis mondiale. Le domaine accueille des sommets diplomatiques, comme le premier G6 en 1975. De Louis XIV à Nicolas Sarkozy, il sert de territoire de chasse modèle, servant à la diplomatie des princes et à l’affirmation de leur pouvoir en Île-de-France. En parallèle, l’État utilise Rambouillet comme la matrice d’un programme économique et industriel d’amélioration de l’agriculture par la diffusion du mérinos de Rambouillet, réputé pour sa laine fine. En suivant les techniques d’élevage de gibier et de bétail, les fabrications et les croisements des races animales, en étudiant les réseaux politiques liés aux circulations des animaux et des techniques, j’ai tenté de montrer comment le pouvoir politique façonnait la nature et en retour comme ces acteurs écologiques influençaient la manière de penser ou de gouverner l’environnement.
Cette étude repose sur un corpus archivistique inédit et exceptionnel, en termes de diversité matérielle (cartes, comptabilités, correspondances, artefacts, documents iconographiques) et géographique. Ce corpus de 220 mètres linéaires, soit 11 tonnes d’archives, est longtemps resté inédit du fait de l’influence du pouvoir princier qui a pu ralentir le versement des archives ou leur consultation par les chercheurs (archives soumises à dérogation présidentielle). Il est aujourd’hui conservé aux Archives nationales et aux Archives départementales des Yvelines et de l’Essonne, ainsi qu’aux domaines nationaux de Chambord et de Rambouillet. Cet ensemble continue de s’étoffer au fil des années et des redécouvertes de documents à Rambouillet et dans tous les départements ou régions liés au domaine. L’autre grande richesse de ce domaine est l’architecture monumentale dont l’étude demeure à approfondir, les archives étant discrètes sur tout le bâti rural et cynégétique. Ce riche corpus archivistique permettra encore de nombreuses études inédites que ce soit sur le château, les chasses, la forêt ou la Bergerie nationale.
Raphaël Devred
Partenaires du projet
UVSQ, Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines (CHCSC) : Anne-Claude Ambroise-Rendu, Grégory Quenet
Archives nationales : Henri Pinoteau, puis Sophie Hennet
Domaines nationaux de Chambord et de Rambouillet : Jean d’Haussonville
Publications associées au projet
Devred Raphaël, Le domaine de Rambouillet, une histoire environnementale du pouvoir, de la chasse et de l’élevage (1783-2010). Histoire. Université Paris-Saclay, 2024. Français. ⟨NNT : 2024UPASK003⟩. ⟨tel-04612873⟩
Devred Raphaël, « Le boisement et la conservation de la forêt de Rambouillet du XVIIIe siècle à nos jours », Revue Forestière Française, 2, 2024, p. 115-126.
Devred Raphaël, « The Royal Stag: the Government of the Red Deer on Rambouillet Estate (1706-1870) », dans Weber Nadir (dir.), Hege und Herrschaft. Höfische Jagdtiere in der europäischen Vormoderne, Köln/Leyde, Böhlau/Brill, 2023, p. 95-112.
Devred Raphaël, « Améliorer et conserver ? Rambouillet, les stations et le mérinos en Afrique coloniale française (1900-1930) », dans Blanc Guillaume, Guérin Matthieu, Quenet Grégory (dir.), Protéger et détruire. Gouverner la nature sous les tropiques (XXe-XXIe siècle), Paris, CNRS Éditions, 2022, p. 109-133.
Devred Raphaël, « Les domaines : une histoire au naturel », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/09/22, consulté le 14/03/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21946.
Crédit Photo à la Une : Le château de Rambouillet et la statue de la Diane d’Aneth, carte postale, vers 1960, Archives départementales des Yvelines et de l’Ancienne Seine-et-Oise, 4Fi4754.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
fsp (13 mars 2025). Le domaine de Rambouillet, le pouvoir et le patrimoine. Fondation des sciences du patrimoine. Consulté le 16 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13h2m