Renaissance et diffusion de la sculpture de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge : un corpus numérique
La sculpture de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge est un patrimoine relativement négligé. Pour le préserver et le mettre en valeur, une équipe de recherche a choisi d’enregistrer et publier ces œuvres dans un format numérique, mettant au cœur des réflexions l’élaboration d’un vocabulaire libre, contrôlé et interopérable.
Initié par l’École du Louvre, le musée du Louvre, puis porté collectivement avec les UMR ArAr (Lyon) et ArTeHiS (Dijon), le projet SATHMA s’inscrit dans une entreprise plus générale d’étude des sources de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge. L’objectif est de réaliser l’inventaire de la sculpture de ces périodes en France, appartenant aux domaines funéraire (sarcophage, stèle, etc.), architectonique (colonne, antéfixe, frise, etc.) et liturgique (autel, chancel, ambon, etc.). Les limites chronologiques définies, entre le IVe siècle et le Xe siècle, permettent de mieux saisir les changements opérés dans le décor sculpté de la fin de l’Antiquité jusqu’au seuil de l’art roman. Cet inventaire s’appuie sur une documentation initialement collectée dans les années 1960-1980 et conservée au département des Sculptures du musée du Louvre.
Ce fonds primaire a été constitué à partir des années 1965 sous l’égide de Jean Hubert, professeur à l’École des Chartes, par une équipe du CNRS, le « Groupe d’études préromanes », réunie autour d’André Grabar, à l’École Pratique des Hautes Études, Section des sciences religieuses. Il est composé de données primaires (fiches cartonnées, carnets, relevés, dessins, négatifs photographiques et diapositives, tirages en noir et blanc), classées méthodiquement dans des boîtes par monument, ville, département.
Cet ensemble constituait un dépôt intermédiaire inestimable, accessible et exploitable par quelques spécialistes. Quatre volumes ont été publiés par le CTHS (Comité des travaux historiques et scientifiques) sous le titre de Recueil général des monuments sculptés en France pendant le haut Moyen Âge (IVe–Xe siècles), consacrés à l’inventaire de la sculpture de sept départements[1]. Après la parution du quatrième tome en 1987, la collection s’est arrêtée pour des motifs financiers.
En 2016, des spécialistes de la sculpture tardo-antique et haut médiévale ont entrepris de relancer, sous forme numérique, ce travail d’inventaire. Dans la perspective de la préservation de ce patrimoine artistique et de sa valorisation, le projet SATHMA a porté sur la numérisation des fonds, puis la création d’un portail web, qui combine une interface d’enregistrement pour les contributeurs et un espace de consultation ouvert à tous, permettant la recherche approfondie dans un corpus iconographique de plusieurs milliers d’objets.
La première phase a été la poursuite de l’enrichissement iconographique, par le récolement et la numérisation des documents du département des Sculptures du musée du Louvre, commencés en 2017, et par le traitement de deux fonds de chercheurs (fiches, photographies et dessins), donnant lieu à la numérisation de près de 2000 items, destinés à être versés dans la base. Il s’agit du fonds de Gilbert-Robert Delahaye, spécialiste de la sculpture funéraire, depuis acquis par le musée archéologique de Provins, et celui constitué par Jean Cabanot, concernant le Sud-Ouest de la France, conservé au laboratoire Ausonius (UMR 5607, CNRS, Université Bordeaux Montaigne).
La deuxième phase a été axée sur la conception et le développement de la base de données avec le logiciel Heurist. Elle s’est traduite par la création de l’arborescence, de l’ensemble des tables et de l’infrastructure de la base de données, avec la rédaction d’un vadémécum, mode d’emploi à destination des contributeurs.
La création du portail web s’est traduite en 2023 par le choix d’une base gratuite de données full web caractérisée par sa conformité aux recommandations de la science ouverte et aux formats ouverts de description (Dublin-Core) et d’export des données. Plusieurs paramètres ont été déterminants : la relative facilité de réalisation par des non-informaticiens en raison de la mise à disposition de l’application dans l’offre de services de l’Infrastructure de recherche Huma-Num ; la personnalisation possible de la description des données ; son interopérabilité avec les logiciels Zotero pour l’intégration de la bibliographie qui recense à ce jour 2950 références et Opentheso pour le liage avec le thésaurus Pactols.
Conjointement, le vocabulaire contrôlé et la normalisation des références bibliographiques ont été définis. Les listes de vocabulaire ont été intégrées sous forme de menus déroulants. Les listes d’outils, de techniques, de matériaux, de familles d’objets, de types d’objets, de représentation iconographique ont fait l’objet de classement et de définition. Le vocabulaire rassemblé a été aligné sur le thésaurus Pactols pour une mise à niveau des normes d’interopérabilité du web sémantique : les termes employés sont venus préciser les définitions des concepts Pactols existants ou les compléter par la proposition de nouveaux candidats.
Chaque notice de la base constitue une véritable « carte d’identité » de la pièce sculptée, mentionnant les circonstances de sa découverte, ses caractéristiques matérielles et décoratives, une datation argumentée, la bibliographie afférente et des clichés photographiques. Une attention particulière est portée au matériau (pierre, terre cuite, stuc, bois, etc.), aux détails techniques (traces d’outils et de fixations) participant à la compréhension des gestes des sculpteurs, des mises en œuvre originelles et des réaménagements.
Corpus SATHMA, base de données
Le corpus SATHMA, amplifié par divers travaux sur la sculpture (monographies, articles de synthèse, thèses, etc.) et les nouvelles découvertes, constituera à terme une base de référence. Il permet une étude de la sculpture tardo-antique et alto-médiévale sur la longue durée (IVe-Xe siècles), dans toute sa diversité et sa matérialité grâce aux apports de l’archéométrie et des sciences expérimentales, à l’aune d’une contextualisation spatiale et temporelle grâce à l’interopérabilité avec des bases de données éclairant les lieux de découverte. Chercheurs, étudiants, professionnels du patrimoine et de l’archéologie, et un large public, pourront s’approprier cet outil de recherche sur un mobilier sculpté qui, à ce jour, est en grande partie inédit ou dispersé. L’exemple de l’église Notre-Dame la Daurade à Toulouse, monument emblématique de l’Antiquité tardive disparu au XVIIIe siècle, est significatif : les éléments sculptés (colonnes) conservés au musée Saint-Raymond (Toulouse), à l’Abbaye de Roseland (Nice), au musée du Louvre, aux États-Unis, au Danemark et dans les collections particulières, sont dorénavant virtuellement réunis[2]. Les utilisateurs de la base pourront y trouver des éléments de comparaison nécessaire à l’identification de pièces sculptées souvent fragmentaires lors de leur découverte. La mise à disposition de ce matériel permettra aux chercheurs de produire les synthèses attendues sur cette sculpture.
[1] D. Fossard, M. Vieillard-Troïekouroff & É. Chatel, Recueil général des monuments sculptés en France pendant le haut Moyen Âge (IVe-Xe siècles), t. I, Paris et son département, Paris, 1978 ; É. Chatel, t. II, Isère, Savoie et Haute-Savoie, Paris, 1981 ; J. Sirat, M. Vieillard-Troïekouroff & É. Chatel, t. III, Val-d’Oise et Yvelines, Paris, 1984 ; C. Deroo, M. Durliat & M. Scellès, t. IV, Haute-Garonne, Paris, 1987.
[2] Anne-Bénédicte Mérel-Brandenburg, Pierre-Yves Le Pogam, « La sculpture de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge en France (IVe-Xe siècle) », Grande Galerie, Le Journal du Louvre, La recherche au musée du Louvre, 2018, p. 35.
Le projet SATHMA a été soutenu par la FSP (2023-2024) et le Groupement d’intérêt scientifique CollEx-Persée (2023-2024). Ont contribué au projet Amélie Roger, Aurélie Devillechaise et Cécile Gourhand (production, traitement, analyse de données et enquêtes), ainsi que Léopoldine Lecler, encadrée par Aurélia Braud, responsable des numérisations, et Julien Baudry, responsable du service d’appui à la recherche et productions scientifiques de l’Université Bordeaux Montaigne.
Partenaires
École du Louvre
EquipEx ESPADON
Musée du Louvre, département des sculptures : Pierre-Yves Le Pogam, Vincent Rousseau
Archéologie et Archéométrie (Arar, UMR 5138) : Anne Flammin, Aurélie Devillechaise
Archéologie, Terre, Histoire, Société (ArTeHiS, UMR 6298) : Christian Sapin
Université Clermont Auvergne : Pascale Chevalier
Fédération et ressources sur l’Antiquité (Frantiq, GDS 3378) – Centre Camille Jullian (CCJ, UMR 7299) : Blandine Nouvel
MSH Dijon (UAR 3516) : Arnaud Millereux
Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean-Pouilloux (MOM, FR 3747) : Sabine Fournier ; Romain Boissat, ingénieur d’études en traitement de données ; Marie Chebance, chargée de ressources documentaires ; Miled Rousset, ingénieur en informatique.
Publications associées au projet
Pascale Chevalier, Aurélie Devillechaise, Anne Flammin, Cécile Gourhand, Pierre-Yves Le Pogam, Anne-Bénédicte Mérel-Brandenburg, Arnaud Millereux, Blandine Nouvel, Amélie Roger, Vincent Rousseau, Christian Sapin, Damien Strzelecki, « Le projet SATHMA. Un recueil numérique pour la Sculpture de l’Antiquité Tardive et du Haut Moyen Âge », Bucema (Bulletin du centre d’études médiévales / Auxerre), en ligne 28.2 | 2024 (à paraître).
Crédit Photo à la Une : a. Montmaurin (31), Villa gallo-romaine, Ier-Ve siècle (©ABMB). b. Tête de femme, époque théodosienne, vers 375 – 425, marbre de Saint-Béat, Toulouse, musée Saint-Raymond, Ra 82 (©ABMB). c. Chiragan (31), Vénus, fin IVe-1er tiers Ve siècle, marbre blanc de Saint-Béat, Toulouse, musée Saint-Raymond, Ra 151-Ra 114 (cl. Daniel Martin, licence ouverte). d. Montmaurin (31), villa de Lassalles, dalle de placage décoratif à médaillon central comportant un motif floral, pilastre et fragment de plaque décoré, de rinceaux à volutes, marbre blanc de Saint-Béat et datés du IVe ou Ve siècle (©ABMB). e. Table d’autel à décor, Ve siècle, marbre, Saint-Victor, Marseille (©ABMB). f. Memoria constituée de plaques de marbre (de Carrare, de Pentélique, Proconnèse ?), polychrome à décor d’écailles délimitant les deux sarcophages, Ve siècle, marbre des Pyrénées, Marseille, église de la rue Malaval (© M. Moliner). g. Sarcophage, remise de la Loi à saint Pierre, fin du IVe siècle, marbre de Carrare, Arles, musée de l’Arles Antique (©ABMB). h. Sarcophage, fin IVe siècle-Ve siècle, marbre des Pyrénées, provenant de l’abbaye de Valbonne, Saint-Paulet-de-Caisson, Nîmes, musée archéologique (©ABMB).
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
fsp (5 décembre 2024). Renaissance et diffusion de la sculpture de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge : un corpus numérique. Fondation des sciences du patrimoine. Consulté le 17 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12u5q
