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L’organisation spatiale des grottes ornées à travers les outils de la géomatique

La géomatique désigne les méthodes et les technologies permettant de collecter et de traiter des données géographiques. Ses outils, notamment les systèmes d’information géographique, sont précieux pour l’étude des grottes ornées. Adaptés à la dimension interdisciplinaire de celle-ci, ils nourrissent de nouvelles pistes de recherche.

Les approches intégrées et interdisciplinaires sont aujourd’hui privilégiées dans l’étude des grottes ornées. Les outils numériques jouent un rôle stratégique compte tenu de la diversité et de la quantité d’informations collectées. Alors que les outils 3D sont omniprésents dans l’étude des grottes depuis une vingtaine d’années, les systèmes d’information géographique (SIG) restent peu utilisés. Pourtant, la grotte ornée est un espace éminemment géographique, l’art pariétal résultant d’une interaction entre l’humain et la grotte. C’est un espace propice à une lecture spatiale de l’information.

Face aux multiples propriétés spatiales des grottes ornées, la géomatique peut-elle offrir une nouvelle voie de recherche pour reconsidérer l’étude de ces espaces ? Quel regard apporte-t-elle à l’étude des grottes ornées ? Dans quelle mesure l’usage de ces outils spatiaux peut-il s’intégrer aux problématiques spécifiques des grottes ornées, malgré les défis que soulèvent l’espace souterrain, la nature tridimensionnelle des objets, la dimension collective de la recherche et l’ancienneté des données ?

Ce travail de recherche utilise la géomatique comme cadre méthodologique et conceptuel pour répondre aux nombreux défis posés par les contextes pariétaux. Elle se décline selon trois axes : la gestion organisationnelle de l’information spatiale, la modélisation chronospatiale et l’interaction spatiale entre l’homme et son environnement. Ces axes sont étudiés à travers deux grottes ornées : la grotte de Marsoulas (Haute-Garonne) et la grotte Chauvet (Ardèche).

Aborder la spatialité en grotte ornée : un enjeu méthodologique

Les grottes ornées sont des cavités naturelles où l’on découvre des manifestations graphiques telles que des peintures, gravures, bas-reliefs et modelages d’argile. Cette pratique, concentrée en Europe du Portugal à l’Oural, présente une grande continuité chronologique durant le Paléolithique supérieur (de – 40 000 à – 12 000 ans). Depuis les premières découvertes et la reconnaissance de l’ancienneté de l’art des grottes, les préhistoriens étudient la forme et la portée de ces images pour les groupes humains de cette période.

Au début du XXe siècle, l’attention se portait principalement sur l’étude stylistique et thématique des représentations, de façon à établir une chronologie pour l’ensemble du Paléolithique supérieur. Dans les années 1940-1950, des auteurs comme Max Raphaël ont proposé des lectures plus globales de la grotte, mettant en avant le fait que les groupes humains étaient capables de réaliser des compositions monumentales et complexes (Raphaël, 1946).

Les travaux d’Annette Laming-Emperaire et d’André Leroi-Gourhan ont mis en évidence l’importance de considérer les associations, la distribution et le fonctionnement des images entre elles (Laming-Emperaire, 1962 ; Leroi-Gourhan, 1958a ; 1958b ; 1958c). Ils ont montré que la disposition des images dans la grotte n’était pas aléatoire et portait un sens. Aujourd’hui, l’étude du contexte de découverte de l’image est essentielle pour une compréhension holistique. Cette vision de la grotte comme un système symbolique complexe est largement acceptée.

Ce changement de paradigme repose en partie sur les avancées méthodologiques (inventaire et relevé systématiques, analyses techniques et formelles), qui ont permis de proposer des lectures nouvelles du dispositif pariétal, sous la forme par exemple de cartes de distribution.

Depuis une vingtaine d’années, les outils numériques ont renouvelé l’approche de ces objets, offrant d’intéressantes perspectives documentaires et analytiques. La modélisation en 3D s’est rapidement imposée pour la restitution et les relevés. Les SIG ont été moins exploités en raison de la difficulté de leur déploiement en milieu souterrain. Ils sont pourtant essentiels pour comprendre les distributions spatiales. Les outils spatiaux permettent d’étudier les relations et les interactions des unités géographiques entre elles, tout en facilitant un dialogue entre différents niveaux d’échelle. Ils répondent à un besoin réel, celui d’étudier de manière systématique et standardisée l’organisation spatiale des grottes ornées.

Du suivi documentaire à la pratique organisationnelle : la cartographie collaborative

En premier lieu, cette recherche s’est intéressée à la fonction et à la place des outils de collecte de l’information spatiale pour une équipe de recherche travaillant en contexte orné. Les équipes travaillant dans des milieux souterrains rencontrent des contraintes spécifiques. Dans ce contexte, comment les outils spatiaux peuvent-ils assurer un rôle de sauvegarde, mais aussi assister et faciliter la collecte d’informations ?

Pour répondre à cette question, un geoserveur avec une interface cartographique a été déployé à destination de l’équipe de recherche travaillant à la grotte Chauvet. L’objectif était d’évaluer les avantages, identifier les difficultés et proposer des recommandations afin que ce dispositif cartographique devienne un véritable lieu d’échange. Pour que ce type de dispositif puisse exister sur le long terme, il doit s’inscrire durablement dans les pratiques méthodologiques de l’ensemble des chercheurs. Le déploiement d’un WebSIG à l’interface des spécialités de l’archéologie repose sur des enjeux techniques en s’adaptant au besoin de chaque chercheur par la mise en place d’interfaces adaptées. Les enjeux sont également sociaux : il faut emporter l’adhésion des acteurs et les amener progressivement à construire un outil commun et partagé.

L’application de l’étude spatiale des grottes doit reposer sur une documentation collective, chaque chercheur étant responsable de l’intégrité de ses propres données. Dans ce contexte, le déploiement d’outils collaboratifs est un préalable essentiel dans la chaîne opératoire de la gestion des données spatiales en grotte ornée (Louman et al., 2020).

Bien que l’application d’un outil WebSIG et la pratique de la cartographie collaborative soient une nouveauté dans l’étude des grottes ornées, l’intérêt a été de questionner cette pratique d’un point de vue sociotechnique afin de pérenniser ces outils et de les intégrer durablement dans les pratiques de travail en contexte pariétal.

L’organisation spatiale des dynamiques ornementales : une application SIG 3D

Dans un deuxième temps, la recherche s’est concentrée sur l’organisation chronospatiale des parois ornées de la grotte de Marsoulas. Située en Haute-Garonne, cette grotte a été découverte précocement à la fin du XIXe siècle. Les parois présentent une grande variété de registres graphiques, tant sur le plan technique (polychromie, gravure fine, peinture rouge) qu’à travers la découverte de signes régionalisés (Fritz et al., 2005 ; 2016). Malgré cette diversité, la grotte affiche une grande unité graphique dans le traitement des figures animalières.

Notre étude s’est donnée pour objectif de mieux comprendre la logique de répartition des zones ornées ainsi que le type et la durée de fonctionnement de l’ensemble, tout en caractérisant la présence d’un ou plusieurs groupes culturels. Grâce au déploiement d’une approche SIG 3D inédite, il a été possible de simuler les niveaux de sol archéologiques, de modéliser la stratigraphie au sol et sur les parois à partir de sources historiques et récentes, et d’analyser la répartition des entités graphiques de manière globale. Le SIG a permis un raisonnement immersif grâce à une démarche exploratoire en 3D. Ces méthodes ont révélé le fonctionnement de la grotte durant une période relativement restreinte, appartenant à un même fond culturel.

Modéliser la pratique spatiale : l’exemple de l’étude des traces de colorant

Enfin, les outils de la géomatique ont été appliqués à l’étude de la pratique spatiale en grotte ornée. Pour analyser la manière dont les groupes humains circulent, fréquentent leur espace et interagissent avec lui, des disciplines comme la géoarchéologie, l’ichnologie et la paléospéléologie étudient l’ensemble des traces laissées par les groupes humains : les foyers, les objets fichés, les traces de pas, les marques charbonneuses, ou encore la présence de spéléothèmes cassés. Dans ce contexte, des traces de colorant de couleur rouge et de taille variable (inframillimétrique jusqu’à des zones densément colorées) sont souvent observées.

Les chercheurs qui se sont intéressés à ces traces les qualifient de balisages, de peintures corporelles, d’accidents de colorant involontaires. L’intérêt des outils de la géomatique est qu’ils permettent de comprendre comment ces traces s’organisent dans l’espace afin d’observer si elles sont le fruit du hasard ou bien répondent à une logique particulière. Des analyses spatiales ont été réalisées pour distinguer les zones les plus contraignantes en termes de circulation des zones plus accessibles.

Exemple de tache de colorant rouge laissée sur une retombée de voûte. © L. Louman

Ce travail a permis de démontrer le lien existant entre les zones restreintes et fortement contraintes et la présence de traces rouges. Elles sont en lien avec la circulation car elles viennent ponctuer le dispositif tout au long du cheminement. Dans le cas de la grotte Chauvet, ces marques restent très peu visibles pour un œil non aguerri en raison de leur taille et leur disposition.

Conclusion

Cette étude confirme l’intérêt de la pratique cartographique et de la géomatique comme moyen de formalisation du raisonnement archéologique. L’utilisation des SIG offre un véritable cadre exploratoire pour tester des hypothèses et mobiliser l’ensemble de l’information collectée sur le terrain. Les résultats sont variés : ils concernent des solutions organisationnelles pour la gestion et le traitement de l’information tout en éclairant la pratique spatiale de l’espace orné durant le Paléolithique supérieur. Dans un cadre plus large, ce travail questionne et renforce le traitement de l’information spatiale comme spécialité et objet d’étude en archéologie et en grotte ornée.

Laura Louman

Bibliographie

Fritz C., Tosello G., « Entre Périgord et Cantabres : les Magdaléniens de Marsoulas » dans J. Jaubert, M. Barbaza (dir.), Territoires, déplacements, mobilité, échanges durant la Préhistoire, 126e Congrès National des Sociétés Historiques et Scientifiques, Toulouse, 2001, Paris, Éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 2005, p. 311–327.

Fritz C., Willis M.D., Tosello G., “Reconstructing Paleolithic cave art: The example of Marsoulas Cave (France)”, Journal of Archaeological Science: Reports, 10, 2016, p. 910–916.

Leroi-Gourhan A., « La fonction des signes dans les sanctuaires paléolithiques », Bulletin de la Société préhistorique française, 55, 1958a, p. 307–321.

Leroi-Gourhan A., « Le symbolisme des grands signes dans l’art pariétal paléolithique », Bulletin de la Société préhistorique française, 55, 1958b, p. 384–398.

Leroi-Gourhan A., « Répartition et groupement des animaux dans l’art pariétal paléolithique », Bulletin de la Société préhistorique française, 55, 1958c, p. 515–528.

Louman L., Fritz C., Desponds D., Pinçon G., « Le géoweb et la cartographie collaborative au service de l’étude de la grotte Chauvet-Pont d’Arc (Ardèche) », Technè. La science au service de l’histoire de l’art et de la préservation des biens culturels, 50, 2020, p. 48–57.

Louman L., Approche géomatique des dynamiques d’ornementation des grottes ornées de Marsoulas et Chauvet, Thèse de doctorat, CY Cergy Paris Université, 2022, 444 p.

Raphaël M., Prehistoric Cave Paintings, New York, Pantheon Books, 1946, 100 p.


Thèse de doctorat menée de 2017-2022 à CY Cergy Paris Université.

Direction de thèse : Didier Desponds (PLACES, CY Cergy Paris Université) et Carole Fritz (TRACES, UMR 5608, Université Toulouse II Jean-Jaurès, CNRS, ministère de la Culture)

Partenariats : Isabella Damiani (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) ; Stéphanie Touron et Milena Frouin (Laboratoire de recherche des monuments historiques)


Publications associées au projet 

Louman L., Fritz C., Desponds D., Pinçon G., « Le géoweb et la cartographie collaborative au service de l’étude de la grotte Chauvet-Pont d’Arc (Ardèche) », Technè. La science au service de l’histoire de l’art et de la préservation des biens culturels, 50, 2020, p. 48–57. https://doi.org/10.4000/techne.7721

Louman L., Approche géomatique des dynamiques d’ornementation des grottes ornées de Marsoulas et Chauvet, Thèse de doctorat, CY Cergy Paris Université, 2022, 444 p. https://theses.fr/2022CYUN1150


Crédit Photo à la Une : Trace de colorant localisée à proximité du Panneau des Dominos, grotte Chauvet. © Laura Louman pour équipe Chauvet, 2019.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
fsp (8 septembre 2024). L’organisation spatiale des grottes ornées à travers les outils de la géomatique. Fondation des sciences du patrimoine. Consulté le 15 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/129g9


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