Panneaux peints de l’Égypte romaine : vers un renouvellement des connaissances 

Les collections égyptiennes du musée du Louvre sont célèbres. Parmi elles figurent une trentaine de portraits peints de la période romaine, qui ont récemment fait l’objet d’une étude matérielle approfondie.

Les portraits de momies de l’Égypte romaine constituent une production funéraire remarquable du monde antique. Ils résultent de l’adaptation de techniques et de styles hellénistiques et romains à la pratique pharaonique millénaire du masque funéraire. Témoignant du phénomène d’acculturation qui s’est produit sur l’ensemble du territoire de l’Égypte durant les premiers siècles de notre ère, ils sont connus sous l’appellation de « portraits du Fayoum », du nom de la région où nombre d’entre eux ont été découverts au cours du XIX^e siècle.

Ils sont aujourd’hui plus de 1 300 conservés dans des institutions muséales et des collections privées. En 2013, le J.P. Getty Museum a initié un large programme d’étude de ces objets afin de mieux comprendre leur production et d’éclairer l’organisation artisanale d’une Égypte en pleine mutation. Intitulé APPEAR, pour Ancient Panel Painting: Examination, Analysis and Research, ce projet a pour objectif de corréler, au travers d’une base de données partagées, l’ensemble des informations formelles, stylistiques, iconographiques et matérielles issues de l’étude des portraits (sur panneau de bois et linceul) des collections des institutions partenaires. À ce large corpus s’ajoute la production contemporaine de panneaux peints de divinités, supports de culte dans les temples. Ils sont moins connus en raison du faible nombre nous étant parvenus – une soixantaine en comptant les fragments.

C’est dans ce contexte de recherche internationale que le musée du Louvre a entrepris de réétudier sa large collection de panneaux peints de l’Égypte romaine (31 portraits et 2 panneaux de divinités). Durant les années 1990-2000, une bonne part de la collection (23 portraits ; un panneau de dieu) avait été étudiée dans le cadre de l’exposition « Portraits de l’Égypte romaine », qui s’est tenue au Louvre en 1998, et de la publication du catalogue raisonné de la collection en 2008 [1]. C’est fort de cette campagne antérieure, menée exclusivement sur microéchantillons, et du premier volet technique du projet APPEAR [2] que le projet FAYOUM a débuté en 2020. Il renouvelle l’étude de l’ensemble de la collection conservée au musée du Louvre.

Au cours des vingt dernières années, les méthodes d’examen et les techniques d’analyse, notamment non-invasives, se sont très largement développées, rendant possible l’étude complète des œuvres grâce, entre autres, aux dispositifs de cartographie [3]. Une méthodologie entièrement non-invasive et non-destructive a été mise en place et appliquée à l’ensemble de la collection du Louvre. Seuls les deux portraits toujours fixés sur leur momie n’ont pas pu être étudiés du fait de l’impossibilité de les déplacer au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). La combinaison de plusieurs techniques d’imagerie couvrant différents domaines d’énergie (rayons X, ultra-violet, visible, proche-infrarouge) a permis de caractériser l’ensemble des matériaux employés lors de leur mise en couleur, qu’il s’agisse des pigments, des colorants ou même des liants (fig. 1). Au-delà de la simple identification des matériaux, les informations liées à leur répartition étaient primordiales pour mieux appréhender cette production. En effet, à l’instar des caractéristiques iconographiques et stylistiques, les matériaux de la couleur utilisés pour la réalisation de ces objets se trouvent à la croisée de traditions égyptiennes, grecques et romaines. L’étude de leur combinaison éclaire les transformations des pratiques artisanales dues à la cohabitation des savoir-faire.

Figure 1 : Portrait funéraire de femme, n° inv. E 12569, daté du IIe s., provenant d’Antinoë ; de g. à d. : cartographie XRF de la raie Lα de l’élément Pb, apparaissant en blanc et pouvant être attribué à l’emploi de blanc de Pb ; imagerie sous rayonnement Ultra-Violet révélant la présence de garance par sa fluorescence rose-orangé caractéristique ; imagerie visible permettant l’observation du vêtement violet et du collier d’émeraudes de la défunte ; imagerie sous luminescence infra-rouge (LIR) révélant en blanc la présence de bleu égyptien ; imagerie hyperspectrale dans le domaine du proche infrarouge proposant une cartographie de la cire grâce à la bande caractéristique (νs + δ CH) à 2310 nm attestant une technique picturale à l’encaustique. © C2RMF/L. Brunel-Duverger et A. Maigret

L’une des transitions les plus notables est l’emploi de nouvelles teintes quasi absentes des périodes pharaoniques, à savoir le rose et le violet, obtenues grâce à la garance, un colorant venu de Grèce et issu d’une plante cultivée dans le nord de la Méditerranée. Ce matériau, facilement mis en évidence grâce à sa fluorescence caractéristique sous UV, se retrouve très largement sur les panneaux, notamment pour la représentation des vêtements. Par son emploi, l’artisan tente d’imiter les étoffes teintes à la pourpre, signe du statut social notable des défunts. Les nuances violettes sont dues soit à des mélanges (indigo, bleu égyptien), soit à des jeux de superposition de la matière, permise par la technique à l’encaustique. La cire, employée ici en tant que liant, confère à la couche picturale un effet de transparence responsable, entre autres, du rendu naturaliste des volumes. L’un des exemples les plus frappants est la représentation des émeraudes, retrouvées au niveau des parures. Invariablement associée à un vert au cuivre, la cire donne à la couche picturale sa translucidité, imitant d’un réalisme surprenant la profondeur de la pierre.

Mais tous les portraits ne sont pas réalisés à l’encaustique. On retrouve une autre technique picturale, celle de la détrempe, employée en Égypte pharaonique. Notre étude a montré que, pour les portraits à la détrempe, le matériau blanc permettant la réalisation des nuances était à base de calcium, matériau traditionnel du peintre égyptien ; par contraste, pour les portraits à l’encaustique, nous retrouvons uniquement du blanc de plomb, importé de Rome [4]. Ces distinctions pourraient relever d’influences égyptiennes ou romaines plus ou moins prononcées au sein des ateliers de production. Les pratiques artisanales se définissent bel et bien à la croisée de ces traditions.

Lucile Brunel-Duverger et Caroline Thomas 

[1] M.-F. Aubert et R. Cortopassi, Portraits funéraires de l’Égypte romaine, Paris, Éditions musée du Louvre, Éditions Khéops, 2008.

[2] Mummy Portraits of Roman Egypt: Emerging Research from the APPEAR Project, edited by Marie Svoboda and Caroline R. Cartwright, Getty Publications, 2020.

[3] R. Moreau et al., “Development of a spectroscopic imaging system for paintworks coupling UV-Vis Photo-Luminescence, Vis-NIR-SWIR-Reflectance and MA-XRF”, European Physical Journal Plus, 138, 16, 2023.

[4] L. Brunel-Duverger et al., “Roman-Egyptian mummy portraits and panels of gods from the Louvre: renewed historical and material knowledge”, in Mummy Portraits of Roman Egypt: Emerging Research from the APPEAR Project, Vol. 2, edited by M. Svoboda et C.R. Cartwright, Getty Publications (en cours de publication).

Projet post-doctoral réalisé par Lucile Brunel-Duverger.

Partenaires : Caroline Thomas (musée du Louvre, Département des antiquités égyptiennes), Anne-Solenn Le Hô (C2RMF, Département Recherche), Christine Andraud (MNHN, CRC), Anne Michelin (MNHN, CRC), Aurélie Tournié (MNHN, CRC).

Publications associées au projet :

Brunel-Duverger et al., “Roman-Egyptian mummy portraits and panels of gods from the Louvre: renewed historical and material knowledge”, in Mummy Portraits of Roman Egypt: Emerging Research from the APPEAR Project, Vol. 2, edited by M. Svoboda et C.R. Cartwright, Getty Publications (en cours de publication).

C. Thomas et L. Brunel-Duverger, « Les tableaux cultuels d’Égypte romaine : étude matérielle des deux panneaux du musée du Louvre », Technè, n°56 (en cours de publication).

Crédit Photo à la Une : Portrait funéraire de femme, dite « l’Européenne » (musée du Louvre, n° inv. 2047), réalisé à l’encaustique, daté du I^er s., provenance présumée Antinoë. © C2RMF/A. Maigret